Entre son père et lui, le courant semblait n’avoir de cesse de connaître des courts-circuits. Pour lui, un fils devait savoir se battre comme un homme, faire un travail d’homme, avoir des loisirs d’homme et se comporter en homme, avec des interprétations de toutes ces notions naturellement très strictes et dépassant toute objectivité. Confronté en permanence à ces injonctions à une virilité oscillant entre celle du chasseur préhistorique et du militaire à l’ancienne mode, Aldéric s’était effectivement endurci. Adolescent, il cherchait la castagne et fréquentait des militants d’extrême-droite qui semblaient plaire à son père, tout autant qu’ils effrayaient sa mère.
A cette époque, elle qui avait toujours été effacée avait commencé à tenir tête à son mari, rendant l’atmosphère du foyer irrespirable du fait des cris permanents. Au bout de quelques mois, autant par peur d’une dispute qui dégénère que par détermination à ce que son fils ne devienne pas membre d’un gang ou fasse une « bêtise » irrémédiable, elle remplit la voiture comme elle le pouvait, retira les maigres économies personnelles que son poste de secrétaire lui avait permis de mettre de côté, passa chercher son fils à la sortie du lycée et roula au hasard jusqu’à ce qu’elle sente la fatigue la gagner et s’arrête dans un motel de bord d’autoroute. Étonnamment, Aldéric n’avait rien dit, ni posé de question sur ce qui l’avait amenée à partir et si son père était au courant. De fait, voulant éviter qu’il aille voir la police, elle avait laissé un mot et le contact d’un avocat qu’elle avait rencontré le jour-même au déjeuner grâce à une amie à laquelle elle s’était ouverte de sa situation, et qui avait inopinément été l’élément déclencheur de ce départ.
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